• 1895 : Implantation d'une usine d'iode à Lampaul

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  • L'usine et les goémoniers en 1914-1918

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  • Demande d'une réglementation nouvelle de la coupe des divers goémons (extrait d'une délibération du conseil municipal)

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  •  Mode de fonctionnement de l'usine

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  • La fabrication de l'iode à Lampaul
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    Vous pouvez également allez voir la page sur le goémon
     


    1895 : Implantation d'une usine d'iode à Lampaul

    En cette fin de XIX ème siècle, Lampaul, comme beaucoup de communes environnantes, avait du mal à boucler son budget. D'années en années, les registres municipaux font état de budgets déficitaires et les élus ne savaient trop comment procéder pour renverser la vapeur. Lors de la séance ordinaire du conseil municipal de Lampaul du 31 mai 1895, le maire - Laurent Kérébel - soulignait une nouvelle fois la déficience du budget et proposait de tirer parti d'un atout non négligeable : l'immensité des des dunes communales. Il suggérait donc "la location des dunes communales pour pâturage et dessication du goëmon", se doutant probablement que cela ne suffirait pas à redresser les comptes de Lampaul.

     
    C'est dans cette conjecture peu réjouissante qu'intervint la proposition d'un groupe de pharmacien, de construire une usine d'iode sur la commune. Le conseil municipal, réuni en session extraordinaire le 4 juillet 1895, "considérant les avantages de toutes sortes qui résulteraient de l'édification de l'usine en projet" accordait les pleins pouvoirs au maire pour traiter avec le Sieur Guillaume Herland, délégué de la Société Coopérative des Pharmaciens pour la Fabrication de l'Iode et de ses Dérivés.
     
    Le lieu initialement choisi pour l'implantation de l'usine était Pors Creguin (Porz Kregin, crique dans l'actuel camping municipal de Lampaul), mais le choix définitif fût Porspaul. Dès le 1er Novembre 1895, la demande officielle de construction de l'usine était déposée en mairie.  1898, année de construction d'un four à combustion, devait marquer la véritable mise en route de l'usine. Les feuilles du recensement de population pour l'année 1896, ne mentionnant aucun emploi lié à l'usine, abondent en ce sens. Au début du siècle, l'usine employait une vingtaine de personnes.
     
    1901 : Les emplois à l'usine
    Mars 1912
    L'usine d'iode
    L'usine d'iode de Porspaul
     
     

     L'usine et les goémoniers en 1914-1918
     
     
    Lampaul comme beaucoup de villages du pays a payé un lourd tribut humain lors de la première guerre mondiale. Les conditions de vie sur le front étaient -on le sait- fort pénibles et tous les prétextes étaient utilisés pour tenter d'obtenir des permissions supplémentaires aux poilus qui souffraient loin de chez eux.

    Afin d'obtenir des permissions à ses goémoniers, le conseil municipal de Lampaul, réuni en session ordinaire en février 1917 allait formuler un voeu basé sur deux points essentiellement :

    - l'implantation de l'usine d'iode sur le sol de Lampaul,
    - la comparaison goémonier/moissonneur.

    Voeu en faveur des marins goémoniers

            Monsieur le Président expose au Conseil que la coupe du goémon de rive a toujours lieu dans la commune à partir du 1er avril et que les herbes marines destinées à la fabrication de la soude brute dont on extrait l'iode constituent la principale richesse du pays.

            D'un autre côté, comme tous les marins goémoniers valides se trouvent sous les drapeaux, s'ils ne peuvent venir faire la coupe du goémon ce sera la misère pour leurs familles. Il propose en conséquence à l'Assemblée de prier l'Autorité Compétente de vouloir bien accorder, à partir du 1er avril prochain, une permission de 15 jours aux marins goémoniers.

            Le Conseil Municipal,
    Ouï l'exposé de son président et après avoir délibéré :

            Considérant que le goémon constitue la principale ressource des habitants,
            Considérant que le goémon est employé à faire de la soude brute dont on extrait l'iode,
            Considérant que la commune possède une usine pour la fabrication de l'iode et de ses dérivés,
            Considérant que l'armée a besoin de grandes quantités d'iode pour les blessés,
            Considérant que les marins goémoniers valides se trouvent tous sous les drapeaux,
            Considérant que les cultivateurs obtiennent des permissions agricoles,
            Considérant que la coupe et la récolte des herbes marines sont la véritable moisson des administrés;

            Emet à l'unanimité le voeu qu'une permission de 15 jours soit accordée à partir du 1er avril prochain aux marins-goémoniers, et a l'honneur de prier Monsieur le Préfet du Département du Finistère de vouloir bien appuyer la présente délibération auprès des autorités compétentes. (...)
     
     
     
     
     


     
    Demande d'une réglemantation nouvelle de la coupe des divers goémons
    (d'après une délibération du conseil municipal - février 1904)
     
     
     "Monsieur le Maire expose au Conseil qu'un grand nombre des conseils municipaux du littoral s'occupent actuellement d'obtenir des modifications à apporter aux décrets réglementant la récolte des herbes marines.
     

            Les décrets des 8 février 1868, 31 mars 1873 et 28 janvier 1890 ont été un réel progrès, cependant il existe encore quelques imperfections qu'il serait possible d'éviter, en réglementant à nouveau la matière.

    1 - Il est certain que le goémon peut être justement comparé à l'herbe des prairies naturelles ; il a en effet ses époques de germination, de croissance, de floraison et de maturité. La coupe ne devrait en principe être autorisée qu'à partir du moment où l'herbe marine a acquis un certain développement, c'est-à-dire en avril ou au commencement de mai. Si nos goémoniers se plaignent de plus en plus de la diminution de certaines variétés de goémons, ils n'ont qu'à s'en prendre à eux-mêmes ; ils commencent à faucher trop tôt et ils prolongent trop longtemps la coupe. Il y a donc lieu d'interdire la coupe de tous les goémons pendant une période déterminée, la récolte du goémon épave restant seule libre toute l'année. Cette période d'interdiction pourrait être utilement fixée du 1er novembre au 14 avril inclus.
     

    2 - Cette interdiction se présentant pendant la mauvaise saison aura pour conséquence de sauver la vie de bon nombre de marins qui, insouciants, ne calculent jamais le danger ou ne s'inquiètent pas assez de la maladie.
     

    3 - Toute surveillance étant impossible la nuit, la récolte de tous les goémons, goémons épaves y compris, ne pourra être faite que de jour quand les feux des phares sont visibles, le jour comprendra le temps écoulé entre l'extinction et l'allumage des feux.
     

    4 - Tout propriétaire possédant quinze ares de terre cultivée dans une commune du littoral alors qu'il habite une commune à l'intérieur a le droit de participer à la coupe des goémons de rive dans la commune où se trouvent situés ses biens. Son fermier, par contre, n'en a pas le droit, s'il n'habite pas la commune du littoral. Il y a là une anomalie qu'il faut faire disparaître dans l'intérêt de l'agriculture : le fermier doit pouvoir jouir des mêmes droits que son propriétaire, quand celui-ci n'en use pas.
     

            D'autre part, le terme "cultivée" pouvant donner lieu à interprétation et discussion, il y a lieu de le remplacer par le mot "cultivable" dont le sens est beaucoup plus large.

    5 - En l'état actuel des règlements, les inscrits maritimes pêchant en bateaux ne peuvent se livrer à la coupe du goémon poussant en mer, que dans les lieux qui ne découvrent pas aux plus basses mers d'équinoxe. C'est là une ligne fictive, impossible à préciser, notamment pendant les mortes eaux. D'où de nombreux procès-verbaux dont plusieurs dépendent de l'arbitraire de l'agent mobilisateur. Une pareille situation est intolérable. Du moment que le bateau est à flot, qu'il peut toujours regagner le large, et qu'il n'a à bord que le goémon que l'équipage a le droit de récolter, il ne saurait y avoir lieu de procès-verbal.
     

    6 - Lorsque les inscrits maritimes se livrent, par bateaux, à la récolte du goémon épave, il devra leur être interdit, sous peine d'amende d'user des moyens ou manoeuvres tendant à empêcher l'échouage dudit goémon à la côte.
     

    7 - Les définitions de goémons en "goémons de rives, goémons poussant en mer et goémons d'épaves" doivent être précisées, en y ajoutant les termes admis par les pêcheurs eux-mêmes pour distinguer les goémons qui doivent toujours avoir leurs racines immergées, goémons rouges, de ceux qui peuvent rester à sec, goémons noirs.
     

    8 - Les goémons qui pousseraient sur des rochers en pleine mer ou sur des îles désertes, seraient l'objet d'une classification identique à ceux du littorale et ce, pour éviter toute contestation, les époques d'ouverture de pêche des goémons noirs ou des goémons rouges étant ou pouvant être différentes.
     

            Ainsi fait et délibéré à Lampaul Plouarzel, les jour, mois et an que dessus.
     

    Le Conseil              Le Maire

    Lagadec
    Allançon                        Kerebel
    Coatanea
    Russaouen
    Bescond
    Elies
    Kerros Ch
     
     
     
     


    Mode de fonctionnement de l'usine
    (d'après renseignements recueillis auprès de Mr HUSIAUX)
     
     
     Approvisionnement
     
    "L'usine achetait des pains de soude aux goémoniers. C'est la matière minérale des algues qui nous intéressait. De chaque bloc broyé, on extrayait un échantillon qui était envoyé au laboratoire, situé dans l'usine de Lampaul, pour obtenir une évaluation de sa teneur en iode."
    "L'usine n'a jamais acheté d'algues mouillées."
     
     
    Provenance
     
    "Il existait plusieurs usines sur la côte. Chacune d'entre elles avait son secteur d'approvisionnement. Ainsi l'île de Balanec était réservée à Lampaul. Les gabares allaient charger sur l'île, et les pains de soude étaient débarqués par charrettes à l'usine."
    "Beaucoup de goémoniers venaient livrer leurs pains de soude en charrettes. Ils venaient de Saint Pabu, de Ploudalmezeau, de Trézien, etc..."
    "Le goémon ramassé aux îles était de meilleure qualité car, plus il y a de courant, plus il est riche en iode, alors que le goémon épave se charge de plus d'impuretés, notamment de sable."
     
     
    Acheminement
     
    "Il se faisait par bateaux ou par charrettes. Certains venaient de Plouescat. On a vu des files d'attente de charrettes qui remontaient jusqu'à l'église de Lampaul. Les gens arrivaient très tôt pour prendre leur tour. Les goémoniers de Plouescat quittaient leurs foyers à 4 h 00 du matin, pour être à 11 h 00 à Lampaul."
     
     
     L'iode
     
    "La concentration en iode des algues des îles est de 10 à 12 ?, alors qu'ici elle varie entre 5 et 6 ?, et peut même descendre jusqu'à 3 ?."
    "Après prélèvement d'échantillons sur les pains de soude, on remettait un reçu aux goémoniers qui étaient payés une semaine plus tard. La concentration en iode des différents échantillons, faisait varier le prix des pains de soude du simple au double, voire de 5 à 6 fois plus cher."
    "Il existait une grande bascule pour peser les pains de soude."
     
     
    Formation du personnel
     
    "Elle était nulle. Il y avait beaucoup de retraités de la marine marchande, ainsi que des cultivateurs. Certains venaient de Plouarzel en sabots à 5 h 00 du matin."
    "Deux femmes étaient employées pour le conditionnement, l'emballage et l'étiquetage des colis destinés aux pharmaciens actionnaires.
     
    Travail
     
    "Il se faisait toute l'année."
     
     
     
    La fabrication de l'iode à Lampaul
     
    Après le brûlage du goëmon dans les fours à soude (62 fours ont été recensés par Gaby Colleau en 1989), des blocs de soude de 80 à 100 kgs sont livrés à l'usine. Ils sont pesés sur une bascule puis cassés à la masse. On prélève alors un échantillon qui est broyé et tamisé au laboratoire : on dose sa teneur en iode car c'est bien l'iode que l'usine achète ! Le goémonier qui n'a aucun moyen de contrôle sur cette étape n'apprécie guère ce qu'il considère être l'arbitraire du responsable ; de violentes discussions auront parfois lieu à ce sujet.
     
    Les blocs de soude sont traités dans l'usine ; on les passe dans un concasseur à marteaux. Après concassage, on obtient des morceaux de la taille d'un oeuf de poule. La soude concassée est remontée par une chaîne à godets puis déversée dans des wagonnets. A ce moment-là, on la verse dans des bacs en acier. Ces bacs sont munis d'un faux-bord sous lequel se trouve un serpentin. Ils sont couverts d'eau qui est portée à ébullition grâce à une chaudière multitubulaire chauffée au charbon. L'eau circule d'un bac sur l'autre au moyen de pompes et s'enrichit en passant sur des bacs contenant de la soude de plus en plus riche. Le liquide de la cuve la plus riche est déversé dans des bacs en fonte cylindrique où a lieu le refroidissement. Par ce refroidissement, le chlorure de potassium se cristallise sur les côtés. On le gratte, on le met dans d'autres wagonnets puis on procède à un lavage rapide pour en extraire l'iode restée dessus. On obtient des petites eaux qui sont remontées pour l'épuisement de la soude ; c'est un lavage méthodique. Par concentration, le chlorure de sodium, pas plus soluble à chaud qu'à froid se dépose. On le pêche avec des pelles et on le met à égoutter au dessus des bacs. Les eaux d'égouttage retombent dans la cuve de concentration. La solution concentrée est coulée dans des bacs en fonte (les mêmes que les premiers) : le chlorure de potassium se cristallise sur les côtés ; il est gratté, mis dans des wagonnets et lavé sommairement. Tout ce chlorure de potassium est rassemblé en un tas vendu aux cultivateurs qui viennent le chercher en charrettes.
     
    La solution concentrée va être soumise à la désulfuration par ajout d'acide sulfurique puis porté à ébullition. Les sulfures sont décomposés avec un précipité de soufre et dégagement d'hydrogène sulfureux et anhydride sulfureux. Cette solution désulfurée est déversée dans des bacs (la désulfuration est l'opération la plus délicate : si la désulfuration n'est pas suffisante, on risque un précipité de soufre en même temps que le précipité d'iode ; il y a alors trop d'acide sulfurique et on risque une formation d'acide iodhydrique d'où une perte en iode).
     
    Ces eaux désulfurées sont déversées dans des cuves en pichepin et alors on précipite l'iode par le chlorure naissant produit par un mélange de chlorate de soude et d'acide sulfurique. L'iode brut est transformé en iode monosublimé en le mettant dans une cuve à doubles parois, chauffé (sans ébullition) et se sublime dans une série d'anneaux (7 ou 8) mis bout à bout et percés dans la partie inférieure pour l'écoulement de l'eau. L'iode est collé sur les parois des anneaux en grès ; il faut le gratter pour le décoller (il est alors en plaques d'un à deux centimètres d'épaisseur).
     
    Cet iode monosublimé est mis dans des coupelles en grès (doubles coupelles en fait) dont le fond repose sur du sable chaud ( 100° C) ; il y a un joint entre les deux demi-coupelles. L'iode monosublimé se dépose alors en paillettes qui ont une forme de fer de lance. Il est vendu ensuite directement aux pharmaciens. Une partie cependant est transformée en teintures d'iode par dissolution dans le l'alcool à 90° et addition d'une petite quantité de chlorure de potassium pour permettre la conservation. Tous les produits étaient fabriqués à l'usine de Porspaul et étaient codex, c'est-à-dire qu'ils répondaient à des normes pharmaceutiques.
     
    A Lampaul, on fabriquait également des iodures (iodures de potassium, iodures de sodium, iodures mercureux), de l'iodoforme, du biodure de mercure et de l'iodothymole).
     
           D'après un entretien avec Mr Husiaux, directeur de l'usine de 1935 à 1965
     
          Lambaol. Octobre 1991
     


    Dernière modification effectuée le 02/01/1999