Depuis bien longtemps, cette page était
en construction. En effet, le sujet est vaste et ne doit pas être
traité légèrement. Voici donc deux articles de Yann
Riou :
LES NOMS DE FAMILLE BRETONS
DANS LEUR USAGE QUOTIDIEN
A LAMPAUL, PLOUARZEL
et PLOUMOGUER
En 1992, Mikael Madeg attirait
mon attention sur une particularité des noms de famille en breton
: l'existence de formes différentes (suffixées) au féminin
et au pluriel. Exemple : pour dire "les Kerebel" -nom bien connu à
Lampaul- on dit ar C'herebelled, et pour dire "une fille Kerebel"
on dit eur Gerebellez. Mais pour "les Kerros", on ne dit pas "ar
C'herrozed" mais ar C'herrozichen, et pour "les Ferelloc", on
ne dit pas "ar Ferelloged" ni "ar Ferellogichen" mais ar
Ferelleien... Devant ces différentes constructions de pluriels,
un collectage systématique sur la commune s'imposait.
Les enquêtes démarraient alors à Lampaul en interrogeant des bretonnants de parents lampaulais. Puis, le besoin de comparer les premières moissons avec ce qui se fait "ailleurs" m'incita à m'intéresser à Plouarzel et à Ploumoguer. En 1993 et 1994, ce sont 16 personnes réparties sur le territoire des communes précédemment citées qui m'ouvrirent leurs portes pour répondre à mes questions. Ces informateurs, nées entre 1907 et 1925, sont tous des bretonnants de naissance ayant vécu leur jeunesse sur la zone faisant objet de l'étude. Plusieurs d'entre eux ayant explicitement demandé à ce que leur nom ne soit pas mentionné ("arabat dit lakaad va ano var ar paper ! "), il ne sera pas donné de liste d'informateurs comme c'est pourtant l'usage dans le cadre d'un travail reposant sur le collectage oral. Constat valable pour la plupart des personnes rencontrées : leur connaissance intime du voisinage (nom et prénom des personnes) ne dépasse généralement pas 1,5 km de rayon autour de l'endroit où elles vivaient. Ceci est une des raisons de la multiplication des points d'enquête. Je tiens ici à remercier toutes ces personnes qui m'ont accordé quelques heures pour que cette étude puisse aboutir.
La méthode employée pour les enquêtes a été la suivante : tout d'abord, dresser une liste des patronymes portés sur la commune en consultant les tables décennales de la fin du siècle dernier. Ceci permet d'obtenir des noms que ne sont plus forcément portés et que l'informateur pourrait oublier ; ensuite passer en revue la liste établie, nom après nom, en compagnie de l'informateur. Cette méthode montrera rapidement ses limites en ce qui concerne le collectage des pluriels. En effet, une fois le patronyme donné, la personne interrogée concentre son attention sur la terminaison au détriment de la mutation après l'article. J'ai ainsi plusieurs fois entendu des formes non mutées comme "ar Kerebelled", "ar Berrichen", fautes qui ne sont pas faites dans une conversation normale où on entend ar C'herebelled (à Lampaul) ou ar Gerebelled (à Plouarzel et Ploumoguer) et ar Verrichen. Une approche différente testée lors de mes dernières enquêtes permet d'obtenir ces formes grammaticalement cohérentes sans difficulté; il suffit pour cela de passer en revue les maisons voisines, puis les quartiers voisins en demandant: "qui habitait là autrefois? ". Les pluriels tombent alors naturellement, sans difficulté.
Il faut ici souligner le principal obstacle au collectage d'exemples d'utilisation du nom de famille. Sur l'ARVOR, une bande d'environ 1 km de largeur qui s'étend de Porz Skaf (à Lampaul ) jusqu'à Porz Moger (à Trézien), les surnoms constituent l'essentiel des dénominations de personnes. Pour Françoise Le Roux de Keramelon, par exemple, je n'ai jamais recueilli la forme Soaz ar Rouz, même en insistant. D'un bout à l'autre de la commune de Lampaul, cette personne était connue sous le surnom de Soaz ar C'hanaill. A la question "qui habitait Keramelon autrefois ? " on ne recueillera pas ar Roused, mais ar C'hanailled... De même, j'ai recueilli les pluriels ar Chach rouz, ar Brospered, ar C'herujaned et les féminins eur Giez rouz, eur Brosperez, eur Gerujanez en réponse à des questions relatives aux familles surnommées, Ki Rouz, Prosper et Kerujan. Dans le MENEZ, c'est-à-dire le bloc rural, la tradition vivace consistant à dénommer une personne par son prénom suivi du nom de la ferme où elle réside, ne permet pas, dans la plupart des cas, de recueillir une forme sincère d'utilisation du nom de famille qui n'est, de fait, que très rarement usité.
La principale conséquence de ce phénomène est l'absence de mutation à l'initiale du nom de famille pour les formes reconstituées pour les besoins de l'enquête. Je m'explique : si Jean Keroll est repéré par rapport à sa ferme Kernetra on l'appelle Yann Gernetra. En demandant alors à l'informateur contacté s'il connaît un Keroll, il répondra par l'affirmative avec Yann Keroll, forme non usuelle rétablie pour les besoins de l'enquête (absence de mutation K / G). En revanche, si Jean Keroll est bien repéré par la communauté d'après son patronyme et non par le nom du hameau où il réside, on entendra naturellement Yann Geroll (réalisation de la mutation K / G). Comme nous le verrons plus loin, il existe des variantes. Une autre conséquence de l'usage généralisé des surnoms est qu'un patronyme très porté officiellement, c'est-à-dire d'après l'état civil, peut être peu attesté oralement. C'est le cas de Kerebel à Lampaul et de Mocaër à Trézien, pour ne citer que ces deux exemples.
Les résultats d'enquêtes sont présentés plus loin. Ils représentent environ 200 patronymes rentrés dans la première colonne sous leur forme officielle. La deuxième colonne "attestation orale" authentifie l'utilisation du nom de famille sous une forme populaire employée par les bretonnants. Chaque attestation désigne donc une personne effectivement connue sous cette appellation. La troisième colonne précise la commune où vivait cette personne. La localité est parfois précédée de l'année de naissance de la personne. C'est souvent le cas de Lampaul où les enquêtes ont pu être réalisées secondées par les recensements de population de la fin du siècle dernier (1876, 1881, 1886, 1891 et 1896). Les deux dernières colonnes proposent les formes au féminin et au pluriel des patronymes concernés.
Un constat s'impose en comparant les attestations orales et les dates de naissance : plus on progresse vers la fin du XIXème siècle et moins les formes bretonnes traditionnelles sont utilisées, ceci au profit de la forme bretonne officielle. Ainsi les Ar Berr, Gwena, An Amour, Lukaz, Ar Mougn et autres Pilvenn donnent-ils naissance avant la fin du XIXème siècle aux Leuber, Gena, Lamour, Luka, Leumoagn et Pilveñ. Cette remarque qui traduit de façon manifeste un recul de la langue bretonne est fondamentale dans l'anthroponymie locale : ou bien une personne a une identité usuelle en breton, ou bien cette personne a une identité usuelle en français, mais que l'on utilise l'une ou l'autre des deux langues, l'identité est invariable. Par exemple si Jean Le Berre est connu sous le nom de Yann Ar Berr, une personne bilingue que l'on aura rencontrée dira soit "Gwelet em eus Yann Ar Berr", soit "j'ai vu Yann Ar Berr". En revanche, s'il est connu exclusivement sous son nom officiel Jañ Leuberr, la même personne bilingue dira soit "gwelet em eus Jañ Leuberr" soit "j'ai vu Jañ Leuberr". Il n'y a donc pas coexistence des deux formes pour désigner une même personne, ce qui contraint l'informateur contacté à fouiller dans sa mémoire pour obtenir les formes bretonnes populaires cherchées pour les besoins de l'enquête. Généralement l'informateur mentionne des contemporains de ses grand-parents qu'il a connus durant sa jeunesse ou bien dont il a entendu parler au cours des veillées. Ce constat qui apparaît clairement sur Lampaul grâce aux dates fournies, est en fait le même sur les trois communes étudiées.
Dans plusieurs cas, l'informateur a conscience de la forme bretonne usuelle du nom de famille mais ne trouve pas d'attestations correspondantes. C'est le cas à Lampaul où l'on sait que des noms comme Hamon, Bescond ou Marzin sont prononcés Amoun, Beskoun ou Marzin et non pas Amoñ, Beskoñ ou Marzeñ.
Cependant, aucun exemple précis d'utilisation n'ayant pu m'être donné, ces formes n'apparaissent pas dans la colonne attestation orale.
De l'observation des noms portés par "les vieux" c'est-à-dire grosso modo la génération née vers 1850, on retire deux modèles concurrents non exclusifs.
1. prénom + nom de famille avec mutation adoucissante
de l'initiale
ex : Yann + Pelenn = Yann Belenn (P > B)
Mari + Kerroz = Mari Gerroz (K > G)
Bi + Tartu = Bi Dartu (T > D)
Yann + Salaün = Yann Zalaün (S > Z)
2. prénom + article + nom de famille sans mutation (sauf
K > C'H)
ex : Naig + Kerroz = Naig ar C'herroz
Per + Bozog = Per ar Bozog
Feñch + Floc'h = Feñch ar Floc'h
Job + Deniel = Job an Deniel
Ces deux modèles ne sont pas exclusifs.
En effet, pour désigner une même personne en breton on peut
utiliser indifféremment l'une ou l'autre de ces constructions. On
notera dans la colonne "attestation orale" les doublets Naig Gerroz
/ Naig ar C'herroz, Nan Balyer / Nan ar Palyer ou Yann Gemeneur
/ Yann ar C'hemeneur qui désignent dans chaque cas la
même personne ( signalé par "id" dans la colonne suivant l'attestation
orale ). Dans une même conversation - parfois même dans une
même phrase!- un bretonnant peut donc évoquer quelqu'un à
l'aide de ces deux systèmes. J'ai eu l'occasion de le vérifier
(et de l'enregistrer également ; je le signale au cas où
il y aurait des sceptiques...) plusieurs fois personnellement. Cette dualité
est d'ailleurs certainement responsable des hésitations constatées
dans les registres de l'état-civil concernant l'adjonction éventuelle
d'un article au nom de famille; que l'on songe en particulier aux Moign
/ Le Moigne et Vourch / Le Vourch de Lampaul. Ce phénomène
a laissé des traces partout en Bretagne dans l'anthroponymie officielle.
La suffixation diminutive - ig a été observée
pour plusieurs patronymes :
ex : an Dot + ig = an Dotig
ar Gwenn + ig = ar Gwennig
al Lann + ig = al Lannig
Vourch + ig = Vourchig
On remarquera que, pour la zone étudiée, hormis le cas de la famille Le Lann où l'usage du diminutif est général, cette forme ne s'applique qu' à des personnes bien particulières et non pas au clan tout entier.
L'apposition d'adjectifs est également
possible :
An Arzel bian, an Arzel braz, an Eliez koz, an Tasin kamm (Bian
= petit, braz = grand, koz = vieux, kamm = boiteux).
Parmi les Kermaidic et les Jézéquel de Lampaul, des formes très réduites, à la limite du surnom, ont été relevées : Midig et Jek. Cette pratique semble marginale.
On notera enfin une particularité de Ploumoguer : l'apposition du nom de la ferme à l'ensemble prénom-nom de famille. Ainsi Feñch Jelebar Kergoz, Job ar Gleo doc'h Keramoal, Yann All Kerzoukeur, Boñ an Ir doc'h Kergouchan, Feñch ar C'herjañ Keralzi, Maryan Labe Ti Oc'h Straoñ... Pour des raisons de présentation des résultats sous forme de tableau, les noms des fermes n'ont pas toujours pu être précisés dans la colonne "attestation orale".
Le féminin du nom de famille s'obtient
sans surprise à l'aide des suffixes -enn et -ez, ce
dernier étant généralement prononcé "eus".
Cet usage néanmoins se perd, ce qui explique la rareté des
réponses dans la colonne "formes plurielles". On peut bien entendu
par la suite construire des féminins pluriels :
ex : al Lukazenned = les filles Lucas
an Alansounezed = les filles Allançon
Les pluriels des noms de famille s'obtiennent
généralement grâce aux suffixes -ed et -ichen,
sauf dans le cas des noms terminés par "eur" dont la marque du pluriel
est le suffixe -ien (prononcé ieun).
ex : Kemeneur + ien = Kemeneurieun
Meneur + ien = Meneurieun
Podeur + ien = Podeurieun
Younkeur + ien = Younkeurieun
Il ne semble pas y avoir de règles claires pour savoir s'il faut suffixer par -ed ou -ichen pour obtenir les pluriels des autres patronymes. Seul l'usage fait référence, ce qui justifie l'aspect systématique du collectage réalisé. La confrontation des pluriels recueillis sur tout le Léon - travail monumental réalisé par Mikael Madeg, mais pas encore publié- permettra certainement de dégager certaines règles.
Le pluriel du nom Ferellog est particulier
: Ferelleien. Il est à rapprocher dans sa construction des
pluriels des noms communs ginawog (= idiot, pl. = ginaweien),
gwenneg
(= sou, pl. = gwenneien), amezog (= voisin, pl. = amezeien)
ou beleg (= prêtre, pl. = beleien) ce dernier nom étant
d'ailleurs attesté comme patronyme sur la zone d'enquête.
On pourrait en déduire que les noms en
-og font leur pluriel
en -eien, mais les pluriels de Kelog, Perchog et Krogennog infirment
cette hypothèse hâtivement formulée. L'initiale du
pluriel mute par adoucissement après l'article :
ex : ar + Berrichen = ar Verrichen (B > V)
ar + Kolined = ar Golined (K > G)
ar + Marzined = ar Varzined (M > V)
ar + Petouned = ar Betouned (P > B)
ar + Salauned = ar Zalauned (S > Z)
ar + Trebolichen = an Drebôlichen (T > D)
Une exception à cette règle est à signaler. Il s'agit de la mutation K > G qui n'est pas faite au profit de K > C'H. Ce pluriel irrégulier est limité à Lampaul, mais d'un emploi général. Ainsi à Lampaul, on dit ar C'herebelled et non pas ar Gerebelled comme à Plouarzel et à Ploumoguer.
Signalons qu'à Trézien on distingue ar Vourc'hichen (= les habitants du quartier du Vourc'h) d'ar Vourc'hched (= les dénommés Vourch). Il est vrai qu'une grande proportion des patronymes recensés est attestée comme toponyme sur la zone étudiée, ce qui justifie ce type de distinction.
L'un des intérêts des formes plurielles
pour l'étymologiste est le rétablissement de lettres finales
qui pourraient tomber au singulier dans l'usage courant. C'est le cas du
nom commun "garçon" qui se dit localement "pô", "pao" ou "paot"
et dont le pluriel bien connu est paotred = paotr + ed. On en déduit
la graphie usuelle au singulier : paotr. Ce retour est à appliquer
prudemment car certaines lettres parasites viennent parfois s'intercaler
entre le patronyme et la marque du pluriel. C'est notamment le cas des
noms terminés par -an où un t non étymologique
(?) fait fréquemment son apparition :
ex : pagan+ed = paganted
( pagan = païen )
Morvan+ed = Morvanted
Kerrouman +ed = Kerroumanted
Le nom Mellaza attire cependant l'attention avec son pluriel Melazared ; un R apparaît dont on se demande s'il est où s'il n'est pas étymologique. Certaines personnes prononcent même ce R final au singulier. Les formes Melazarenn et Melazared sont données sans hésitation par des personnes ne le prononçant pourtant pas au singulier. Ces faits, s'ils ne permettent pas de tirer des conclusions immédiates quant à l'origine du nom, constituent néanmoins un précieux renseignement pour le chercheur en onomastique bretonne. Il en est de même pour le nom de famille Guichoux .
Per Pondaven, qui a effectué un travail identique à celui présenté ici sur les communes littorales depuis Lanildut jusqu'à Landéda, a relevé plusieurs pluriels de noms de famille dans la toponymie : Tevenn ar Belenned (la dune des Pellen), Aochou ar Salaoued (les grèves des Salou), Gwaremm an Eliezed (la garenne des Eliès)... Il formule ensuite l'hypothèse que le Poull ar Bached brestois soit "le trou d'eau des Le Page", ar Pach étant une forme couramment employée en breton pour traduire Le Page. Son explication est bien conforme aux règles que nous avons vues plus haut. Le travail présenté sur ces pages peut donc s'avérer utile au toponymiste.
Le breton qui voit, en cette fin de siècle,
diminuer son nombre de locuteurs, atteint une côte d'estime parmi
les jeunes générations qui lui permet d'envisager sereinement
le XXIème siècle : la langue sera toujours parlée
par des personnes qui auront fait l'effort de l'apprendre et de l'honorer
en l'utilisant. Je souhaite que les modèles de dénominations
observées dans les sociétés bretonnantes traditionnelles
qu'étaient Lampaul, Plouarzel et Ploumoguer, puissent leur servir
pour "bretonniser" leur nom, comme cela se fait couramment chez les militants
de la langue.
Puisse cette petite étude être
utile aux uns et aux autres.
Yann RIOU
décembre
1997